texte soumis par Maxime McKinley
Monument national généralement reconnu comme étant le plus grand compositeur vivant au Québec, Gilles Tremblay est, de surcroît, un pédagogue au lègue immense, un penseur raffiné, un homme d’une profonde spiritualité, ainsi qu’un citoyen exemplaire. Un homme porteur d’une telle contribution à la collectivité québécoise, canadienne et internationale mérite tous les honneurs, et la Ligue canadienne des compositeurs, représentant plus de 300 compositeurs à travers le Canada, souhaite profiter du caractère exceptionnel de la série Hommage que lui consacre la Société de musique contemporaine du Québec pour saluer l’apport exceptionnel de ce compositeur.
L’esthétique de Gilles Tremblay, homme de modernité et d’ouverture d’esprit, s’est nourrie des principales recherches musicales du XXe siècle. Il a fréquenté le GRM et la musique concrète de Pierre Schaeffer; tissé des liens avec des contemporains tels que Gilbert Amy, Pierre Boulez, John Cage, François-Bernard Mâche, Karlheinz Stockhausen, Iannis Xenakis; exploré à fond la notion de mobile musical, sous l’influence notamment de Earle Brown. Ses deux grands maîtres furent Édgard Varèse, qu’il alla rencontrer à New-York, retenant de ce voyage une sensibilité aiguë à la nature intrinsèque du son, et Olivier Messiaen, qui fut pour lui un père spirituel, tant sur le plan musical que sur ceux du rapport à la nature et des valeurs de la foi chrétienne. Citoyen du monde, musicien curieux de découvrir l’Autre, Gilles Tremblay a beaucoup voyagé, s’imprégnant ainsi de diverses cultures, tout particulièrement de Bali. Si Tremblay fut très actif sur le plan international, l’homme natif d’Arvida est toujours resté profondément attaché au Québec. Frère d’un peintre, lui-même peintre dans sa jeunesse, ami de Fernand Ouellet et de nombreux autres littérateurs et intellectuels de la Révolution tranquille, la musique de Tremblay s’inscrit dans le tissu social d’un Québec assoiffé de développements artistiques depuis ce passionnant big bang culturel que fut Refus Global.
Si Gilles Tremblay est un compositeur très représentatif de l’esprit de la Révolution tranquille, il s’en éloigne toutefois sur un point important : celui de la foi chrétienne. En effet, toute l’œuvre de Gilles Tremblay surgit de sa foi en un Dieu Créateur et de son amour de la nature. Le lien entre Dieu, la nature et l’art est pour lui la création, au sens métaphysique, voire mystique, du terme : l’Élan créateur de la Vie. Gilles Tremblay a ainsi œuvré à libérer, dans un esprit de fête, la création musicale de carcans parfois artificiels et stériles pour laisser surgir l’infinie richesse des possibles sonores. La musique de Gilles Tremblay est ainsi une foisonnante célébration de la Vie et de ses complexes ramifications, de l’Élan vital. Parmi les œuvres importantes de son catalogue, mentionnons Fleuves (pour grand orchestre, 1976), Les Vêpres de la Vierge (pour chœur, vents, orgue et contrebasse, 1986), L’arbre de Borobudur (pour gamelan, ondes, deux cors, deux harpes, deux percussions, contrebasse, 1994), et son très récent « opéra-féerie » créé par Chants Libres : L’eau qui danse, la pomme qui chante et l’oiseau qui dit la vérité (2009), sur un livret de Pierre Morency.
Une part considérable de la contribution de Gilles Tremblay à la collectivité fut son enseignement au Conservatoire de musique de Montréal, échelonné sur quatre décennies, des années 1960 jusqu’à la fin des années 1990. Rares sont les compositeurs québécois de plus de quarante ans n’ayant pas bénéficié des classes de composition et d’analyse de Gilles Tremblay. Mentionnons, parmi d’autres, Claude Vivier, Walter Boudreau, Michel Gonneville, Michel-Georges Brégent, Raynald Arsenault, Serge Provost, Jean Lesage, Isabelle Panneton, Serge Arcuri, Marc Hyland et Pierre Klanac. Plusieurs interprètes de renom ont également été marqués par ses classes d’analyse, dont le pianiste Louis-Philippe Pelletier, la chef d’orchestre et directrice artistique de l’Ensemble contemporain de Montréal+ Véronique Lacroix, et le baryton Vincent Ranallo. Gilles Tremblay a ainsi installé au Conservatoire de musique de Montréal une tradition d’enseignement découlant du style pédagogique d’Olivier Messiaen : un enseignement mêlant rigueur et libertés individuelles, chaleur des rapports humains et précision dans les exigences de la formation musicale, favorisant les dialogues féconds, souvent fraternels, sur la musique en particulier et le monde en général.
Enfin, nous jugeons important de mentionner que Gilles Tremblay, en tant que personnalité publique, est un citoyen exemplaire. Sensible à la dignité humaine et à la fragile beauté de la nature, Gilles Tremblay ne craint ni la place publique ni les débats pour exprimer ses idées sur de nombreux sujets artistiques, sociaux, politiques, éthiques et religieux. La présence de Gilles Tremblay dans la sphère sociale contribue ainsi à élever la qualité de l’espace qu’occupent l’art et le monde de l’esprit dans notre collectivité, et participe à l’aspiration d’un monde où, pour paraphraser Sœur Emmanuelle, l’Homme serait fier de l’Homme.
La Ligue canadienne des compositeurs (LCC) sert les intérêts des compositeurs de musique d’art au Canada. Par son travail de représentation, de diffusion de l’information et ses partenariats, la LCC prend la défense et vise le développement d’un environnement artistique, social, politique et économique favorable à ses membres et à leurs oeuvres. Gilles Tremblay compte parmi les pionniers, les inventeurs de la musique que nous défendons. Voilà pourquoi nous avons souhaité rendre hommage, par ces quelques mots, à ce grand compositeur doublé d’un humaniste inspirant pour tous, tout particulièrement dans le contexte d’une saison 2009-2010 qui, grâce au dynamisme de la Société de musique contemporaine du Québec, le fait briller de tous ses feux !
La Ligue canadienne des compositeurs, février 2010